Essai Un passé glorieux trop vite effacé

 Un passé glorieux trop vite effacé

Le sport en Guadeloupe ne date pas d’hier. Depuis les années 60 jusqu’aux années 2000, l’archipel a vu émerger de véritables talents, souvent méconnus du grand public, mais qui ont pourtant brillé sur la scène locale, nationale voire internationale. Athlétisme, football, handball, cyclisme, boxe… dans presque toutes les disciplines, des Guadeloupéens et Guadeloupéennes se sont illustrés avec passion et détermination.

Des athlètes qui ont marqué leur époque

On pense aux champions de sprint des années 90, aux relayeurs médaillés dans les compétitions interrégionales, ou encore à ces boxeurs des quartiers populaires, qui se sont hissés au sommet sans soutien médiatique. Leurs exploits résonnaient dans les tribunes de Baie-Mahault, du Moule, ou de Basse-Terre. Le public était au rendez-vous, les clubs étaient dynamiques, les tournois faisaient vibrer toute l’île.

Pourtant, aujourd’hui, qui se souvient de ces noms ? Où sont les archives ? Les hommages ? Les récits de leurs parcours ?

Loin des projecteurs, beaucoup de ces héros du sport guadeloupéen sont retombés dans l’anonymat. Et c’est tout un pan de notre mémoire collective qui s’efface, jour après jour.

Pourquoi sont-ils tombés dans l’oubli ?

Plusieurs facteurs expliquent cette invisibilisation progressive :

  • l’absence de transmission organisée : Peu d’initiatives ont été mises en place pour archiver, filmer, ou raconter ces histoires sportives locales. Les anciens quittent le circuit sans qu’on leur tende le micro,
  • le manque de relais médiatique : Les médias locaux, souvent contraints par un formatage hexagonal ou par un manque de moyens, ne consacrent que très peu d’espace aux anciens champions ou aux disciplines dites “mineures”,
  • Une institutionnalisation du sport mal adaptée : Les politiques sportives ont tendance à se concentrer sur le haut niveau ou les grands clubs hexagonaux, négligeant les réalités locales. Résultat : peu de reconnaissance pour les parcours atypiques et méritants,
  • Le poids de l’exil post-carrière : Beaucoup d’anciens athlètes partent en France hexagonale pour enseigner, se reconvertir ou travailler. Leur nom se dissout dans l’oubli collectif, alors même qu’ils pourraient jouer un rôle clé dans la transmission de valeurs et d’expérience.

Ce silence autour des anciens sportifs n’est pas anodin. Il reflète un désintérêt structurel pour la mémoire sportive locale, et interroge notre capacité à construire un récit guadeloupéen du sport, ancré, inspirant et transmis de génération en génération.

Les conséquences de l’oubli sur la jeunesse et la société

Une perte de repères pour les jeunes

Quand on efface les figures sportives locales du récit collectif, c’est toute une génération qui se retrouve sans modèle accessible. Dans les quartiers de Pointe-à-Pitre, Capesterre ou Sainte-Rose, les terrains ne manquent pas, mais l’inspiration, elle, s’amenuise.

Les jeunes ne connaissent pas les noms de ceux qui les ont précédés, n’ont plus d’exemples à qui s’identifier. Résultat : le sport est perçu comme une activité périssable, un passe-temps sans perspective.

Pourtant, voir un athlète qui a grandi dans la même rue que soi atteindre un podium, ça change tout. Cela crée des vocations, ça ancre la notion d’effort et de dépassement dans le réel.

En Guadeloupe, le manque de reconnaissance des anciens sportifs affaiblit la chaîne de motivation, là où d’autres régions bâtissent des légendes qui donnent envie de se surpasser.

Rupture de transmission intergénérationnelle

Autre conséquence majeure : la rupture entre ceux qui ont vécu et ceux qui débutent.

Les anciens athlètes ont tant à partager — discipline, gestion de l’échec, résilience, amour du péyi — mais souvent, aucun espace ne leur est donné pour transmettre. Ni dans les clubs, ni dans les médias, ni dans les livres scolaires.

‘’Mwen té ka kouri douvan douvan, men pon moun pa janmen vin mandé mwen la pawol.’’
‘’Je courais en tête, mais personne n’est jamais venu me demander de raconter.’’

Ce manque de valorisation décourage aussi ceux qui auraient aimé s’investir dans le mentorat, l’encadrement, ou l’écriture.

Et dans une société où le lien entre générations se fragilise, le sport pourrait jouer un rôle de ciment, s’il n’était pas relégué au rang de souvenir individuel.

Ce qu’on perd, ce qu’on pourrait gagner

  • Ce qu’on perd : du savoir, de l’inspiration, une mémoire vivante.
  • Ce qu’on pourrait regagner : des vocations sportives, des récits motivants, une dynamique collective fondée sur la fierté et la reconnaissance.

Rendre hommage, c’est aussi construire l’avenir

La mémoire comme outil de transmission

Le passé n’est pas fait pour être figé dans les vitrines. En Guadeloupe, chaque ancien athlète est un livre ouvert, une source d’apprentissage vivante qui peut nourrir l’avenir. Mais encore faut-il lui tendre un micro, une plume, un espace.

‘’Sé lanmémwa nou ka bati demen.’’
‘’C’est sur la mémoire qu’on construit demain.’’

Le sport, au-delà de la performance, est un vecteur de valeurs : discipline, solidarité, résilience. En documentant les parcours d’athlètes locaux, on transmet bien plus qu’un palmarès. On offre à la jeunesse des récits de combats, de réussites et d’ancrage au territoire.

C’est dans cette démarche qu’a été conçu le livre « Une génération d’athlètes guadeloupéens raconte ». Ce n’est pas un simple recueil de témoignages, c’est un acte de mémoire active, une façon de redonner voix à ceux qu’on n’a pas assez écoutés.

Des initiatives concrètes à valoriser (et à multiplier)

Heureusement, des projets commencent à émerger pour combler ce vide.

Parmi eux :

  • le livre d’Ophélie Vouteau, qui rassemble les récits poignants d’anciens athlètes locaux. Une œuvre de transmission puissante, disponible sur Editions-neg-mawon.com, plateforme dédiée à l’édition caribéenne,
  • des podcasts et vidéos locales qui documentent la mémoire du sport en pays créole (initiatives à soutenir et partager,
  • des éducateurs sportifs qui lisent ces témoignages à leurs jeunes élèves pour raviver l’envie, le respect et l’histoire.

Mais il faut aller plus loin. Organiser des tables rondes intergénérationnelles, monter des expositions photo dans les quartiers, proposer des ateliers en club autour de l’histoire locale du sport. Il ne s’agit pas seulement de rendre hommage, mais de s’ancrer, se projeter, se construire ensemble.

‘’A pa on biten ki fini, sé on flanm ki ka transmèt.’’
‘’Ce n’est pas un chapitre clos, c’est une flamme qui se transmet.’’

Objectif : faire du sport un pont entre générations

En valorisant les parcours de nos anciens, on restaure une continuité, un fil conducteur qui relie l’enfant d’aujourd’hui à l’adulte de demain. Le sport devient alors un véritable outil de cohésion sociale, de construction identitaire et de fierté territoriale.

Il est temps d’écrire notre propre Histoire

En Guadeloupe, le sport a toujours été bien plus qu’un jeu. Il a été une école de vie, une source d’émancipation, un vecteur de cohésion. Pourtant, année après année, nos figures sportives s’effacent des mémoires, laissant derrière elles un vide culturel et identitaire.

Ignorer ces parcours, c’est non seulement nier la richesse de notre histoire locale, mais aussi priver les jeunes générations d’exemples ancrés dans leur propre réalité. Ce n’est pas une nostalgie que nous exprimons, c’est un besoin urgent de reconnaissance, de transmission et de réinvention.

Aujourd’hui, nous avons les moyens d’agir. De rendre hommage à nos anciens athlètes, de documenter leurs récits, de faire circuler leur expérience, de reconnecter les jeunes à leur héritage sportif.

‘’Ansanm nou pé rèmaké listwa an-nou.’’
‘’Ensemble, nous pouvons réécrire notre histoire.’’

Le sport guadeloupéen mérite mieux que l’oubli. Il mérite d’être raconté, célébré, transmis.

Ce que vous pouvez faire dès maintenant

Découvrir le livre « Une génération d’athlètes guadeloupéens raconte » – un ouvrage unique qui donne la parole à ceux qui ont marqué le sport guadeloupéen. Disponible sur Editions-neg-mawon.com.

Partager cet article avec un ancien sportif, un éducateur, un jeune en quête d’inspiration. Chaque partage est un acte de mémoire.

Laisser un commentaire ou un témoignage : Qui vous a inspiré dans votre parcours sportif ? Un nom, un souvenir, une parole. Ne les laissons pas s’effacer.

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